Peter Brook, légende de la mise en scène, est mort samedi 2 juillet à Paris.Il a changé la face du théâtre à jamais. Peter Brook, légende de la mise en scène, est mort samedi 2 juillet à Paris. Metteur en scène de théâtre et d'opéra, en recherche incessante, théoricien de l'"espace vide" qui doit éveiller l'imagination du public, adepte de l'échange entre les cultures, le Britannique était également réalisateur de cinéma et avait écrit une douzaine d'ouvrages.
Pendant huit décennies, à Londres puis dans son théâtre des Bouffes du Nord à Paris, il a proposé des interprétations novatrices des grands classiques comme Shakespeare, et exploré les mythes universels du monde comme le Mahâbhârata hindou.
"Je n'ai jamais cru en une vérité unique. Qu'il s'agisse de la mienne ou de celle des autres. Je crois que toutes les écoles, toutes les théories peuvent être utiles en un certain lieu, en un temps donné. Mais je crois qu'on ne peut vivre qu'en s'identifiant passionnément, et, absolument, à un point de vue. Toutefois, le temps passant, à mesure que nous changeons, que le monde change, les objectifs varient et le point de vue se déplace", disait-il sur le site des Bouffes du Nord.
L'"espace vide" et l'abandon du décor
Peter Brook est né à Londres le 21 mars 1925, dans une famille de juifs lituaniens émigrés au Royaume-Uni. Tout petit, il sait qu'il fera du théâtre. À 5 ans déjà, il joue
Hamlet dans un petit théâtre de marionnettes que son père lui a construit. Il commence très jeune sa carrière de metteur en scène : dès l'âge de 23 ans il monte de nombreux textes de Shakespeare pour la Royal Shakespeare Company et dirige des opéras pour la Royal Opera House de Covent Garden. Dans les années 1950-1960 à Londres, il met aussi en scène Jean Cocteau, Jean-Paul Sartre, Arthur Miller, Jean Genet ou Bernard Shaw.
A partir de 1962, il renonce au décor et développe le concept de l'"espace vide" :
"Je peux prendre n'importe quel espace vide et l'appeler une scène. Quelqu'un traverse cet espace vide pendant que quelqu'un d'autre l'observe, et c'est suffisant pour que l'acte théâtral soit amorcé", écrit-il dans son livre
L'espace vide, publié en anglais en 1968, et en 1977 en français (éditions du Seuil).
Il s'installe à Paris en 1970, il crée le Centre international de recherche théâtrale et reprend le théâtre des Bouffes du Nord, un petit théâtre italien désaffecté depuis 1952, qu'il ressuscite. Il le rouvre en 1974 avec
Timon d'Athènes de Shakespeare. La salle, de dimension intime, offre une grande proximité entre le public et les comédiens. Les murs resteront toujours dans l'état où il les a trouvés.
Le Mahâbhârata, un spectacle de neuf heures
"On a besoin de très peu pour toucher l'imagination et quand j'allais très jeune voir des spectacles immenses et compliqués, c'était pour moi moins convaincant que ce que je pouvais faire avec mon petit théâtre chez moi, avec de très simples moyens", déclarait-il le 8 février 2021 à France Culture.
A côté de Tchekhov ou Shakespeare, Peter Brook s'intéresse aux cultures du monde, dans ce qu'elles ont d'universel. En 1979, il met en scène
La Conférence des oiseaux, un recueil de poèmes médiévaux en langue persane publié par le poète soufi Farid al-Attar au 12e siècle. Et en 1985, il réalise son travail le plus ambitieux, qui a demandé dix ans de préparation, le Mahâbhârata, grande épopée hindoue, un spectacle de neuf heures qu'il crée à Avignon et rejoue aux Bouffes du Nord. Il l'adaptera pour le cinéma en 1989.
"Le Mahâbhârata est une épopée, avec des héros et des dieux, des animaux fabuleux. En même temps, l'œuvre est intime. C'est-à-dire que les personnages sont vulnérables, pleins de contradictions, totalement humains", disait Peter Brook. Pour ce spectacle, comme pour d'autres, il met en scène des comédiens des quatre coins du monde : il réunit entre autres le Britannique Bruce Myers, le Français Maurice Bénichou, le formidable griot comédien malien Sotigui Kouyaté, l'Indienne Mallika Sarabhai, l'Italien Vittorio Mezzogiorno...
"Ne pas ennuyer les autres"
Car l'échange entre les cultures est pour lui essentiel. En 1979 à Avignon, où il présentait
La Conférence des oiseaux, il avait déclaré à Antenne 2 qu'il aimait
"que notre travail soit un reflet du monde, qui est un monde très mélangé, où des gens de cultures très différentes sont obligés de vivre ensemble et de se rencontrer." Il avait d'ailleurs beaucoup voyagé avec sa troupe en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique.
Au sujet de son travail avec les comédiens, il confiait le 27 septembre 2020 au quotidien suisse
Le Temps : "Surtout, je ne veux pas leur donner l'impression que je sais tout et que je leur donne des instructions. On est camarades, on se tient par la main et on continue le voyage ensemble."Dans le même article, il parlait de ses rapports avec le public : "
Ma préoccupation, depuis toujours, c'est de ne pas m'ennuyer et de ne pas ennuyer les autres. J'ai souvent observé cela dans les salles : passé le choc d'une première image, les gens somnolent. On n'a pas le droit de les assommer. On joue pour que des spectateurs fatigués après une journée de travail soient captivés.""Les spectacles trop sérieux m'ennuyaient et que j'avais envie d'y ajouter un grain de sel comique", ajoutait-il.
"A l'inverse, si c'était trop comique, j'éprouvais le besoin d'introduire un peu de gravité. Shakespeare m'offrait cela : cette alternance de drôlerie et de tragique tellement essentielle pour moi."/2021/02/12/php86h0U7.jpg)