Carnet de philo par Géraldine Mosna-Savoye (France Culture , ce matin)Entre des tétons apparents et le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, vous ne voyez peut-être pas le rapport, et pourtant, il y en a un.
Avant-hier, sortait un sondage Ifop : un échantillon de 2027 personnes a répondu à cette question : “souhaitez-vous que les lycées publics autorisent ou interdisent aux filles le port des vêtements”, tels que le crop-top ou le “no bra”, soit l’absence de soutien-gorge laissant apparaître les tétons.
Sur un tout autre sujet : hier, le sociologue Geoffroy de Lagasnerie était, quant à lui, l’invité de la matinale de France Inter. Questionné sur son intolérance générale face aux positions de droite, il a revendiqué son opposition à toute forme de débat et promu, je cite : “la reproduction d’un certain nombre de censures dans l’espace public pour rétablir un espace où les opinions justes reprennent le pouvoir”.
Vous voyez le rapport ? C’est celui, dans les deux cas, de l’interdiction : que doit-on interdire à des individus de porter ? que peut-on autoriser à des individus de dire et de penser dans l'espace public ?... désormais, en vous levant le matin, ne vous demandez pas : qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui, mettre un short ou m’exprimer avec mes idées de droite, mais qu’est-ce que je vais pouvoir encore faire… ou pas ?
Encore heureux. Car, plus que me tracasser, ce qui me frappe, c’est qu’on formule et qu’on envisage, à droite comme à gauche, des problèmes moraux non plus en termes de liberté (liberté de corps, liberté d’expression et de pensée), mais en termes simplement opposés, d’interdiction.
Mais comment l’interdiction, formulée comme une alternative bête et méchante (interdit ou pas, autorisé ou pas), est-elle devenue une manière autorisée de réguler l’espace public ?
Alors, certes, toute société repose sur un certain nombres d’interdits (les tabous en sont la preuve) et l’idée n’est pas d’interdire l’interdiction tel le slogan de mai 68, mais comment, paradoxalement, s’autoriser de priver, enlever, retirer une part de liberté, à d’autres que soi ? Comment s’autoriser de voir ça comme une solution, la seule solution, à un problème ?
C’est justement là le problème : interdisez !, empêchez des individus de s’habiller, de penser et de s’exprimer à leur guise, et vous n’aurez plus de problème. Mais “apparemment” seulement…
Empêcher qui et quoi ?
Dans son Traité Théologico-Politique, appelé aussi TTP par les spécialistes, Spinoza pose bien l’enjeu :
“S’il était aussi facile de commander à l’esprit qu’à la langue, tout pouvoir régnerait en sécurité et nul gouvernement n’appellerait la violence à son secours. Mais il n’est pas possible qu’un homme abdique sa pensée et la soumette absolument à celle d’autrui.”Autrement dit : malgré le désordre, les problèmes, créés par la diversité des idées et des désirs de chacun, les interdire ne saurait pourtant faire taire les esprits.
Mais allons plus loin que Spinoza : si on peut dire, comme lui, que l'interdiction ne peut pas empêcher les individus de penser et d'agir par eux-mêmes, pourrait-on dire qu’il est, en revanche, très possible que l’interdiction empêche les individus qui veulent interdire, de penser et d'agir ?
Je dirais même mieux : et si l’interdiction se retournait au final contre eux ? Et si en interdisant, on empêchait non seulement les uns d’être libres mais les autres censeurs d’être capables d’affronter n'importe quel problème moral ? Et si l'interdiction était une défaite, un signe d'impuissance, et de l'imagination et de l'action ?
C’est ironique d'ailleurs car le dernier livre de Geoffroy de Lagasnerie s’intitule “Sortir de l’impuissance politique”, mais à quoi sert la puissance quand elle n’a plus aucun obstacle à affronter, ni idée de droite ni téton apparent ?
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