Excellente analyse sur le Figaro. Et tellement vrai. Dans les périodes qu'on appelle démocratiques où le Pouvoir n'emploie pas de miliciens, il délègue à leur place des espèces de logiciels humains, des drones programmés pour réagir à tous les mots-clés afin de préserver l'orthodoxie de la pensée obligatoire.
Les quinquagénaires d'aujourd'hui les auront subis toute leur vie: déjà au lycée en 1970 ils essayaient de faire réagir les indifférents dans les couloirs pour mieux les traiter de réactionnaires. A l'université, de septembre à mai, nous aurons subi pendant trois ou quatre ans les mêmes m'as-tu vu qui montaient sur les bureaux pour haranguer leurs condisciples sur le thème: «Attention les fascistes sont parmi nous». Ensuite dans la France de Mitterrand puis celle de Jospin le buffet était tellement garni que plus personne n'écoutait ces orateurs devenus inaudibles tant ils avaient la bouche pleine.
On envoie à la télévision des procureurs ivres du seul pouvoir qui reste aux Tartuffes, celui de montrer du doigt n'importe qui au nom de la vertu pour détourner l'attention de la propagation du vice.
Aujourd'hui le banquet est terminé. Les assiettes sont vides, la colère monte, et il faut reprendre les troupes en main. Il faut réveiller la vigilance des «forces de progrès» contre ceux qui font remarquer que les révolutionnaires ont fondé pour la plupart des société de prod', des journaux branchés, des agences multimédia, et des cabinets de consulting, pendant que la jeunesse était livrée à la barbarie.
Alors , on envoie à la télévision des procureurs ivres du seul pouvoir qui reste aux Tartuffes, celui de montrer du doigt n'importe qui au nom de la vertu pour détourner l'attention de la propagation du vice. Dans toutes les émissions où l'on débat après 22 heures il s'agit de cacher ce qu'on ne saurait voir. Il s'agit de conjurer ce qu'on ne veut pas entendre. Les chroniqueurs instruisent à charge contre leurs invités, leurs voisins et parfois leurs collègues, d'une manière tellement irréfléchie, tellement systématique, qu'elle est devenue préventive.
Natacha Polony, qui n'a rien à perdre depuis qu'elle a annoncé son départ, cherche à exprimer publiquement son dépit devant la névrose de son collègue qu'elle devine extrêmement impopulaire.
Ce que vous dites importe peu: on juge désormais ce que vous voulez dire. La sèche grossièreté qu'Aymeric Caron vient d'infliger à sa consoeur Polony sur le plateau de Ruquier, sur le thème «je lis entre les lignes, je suis capable de déceler, avant vous, et même avant lui, les intentions de l'auteur», révèle la suffisance maussade et chafouine de ces gens qui demandent des têtes en public pour exciter la colère contre les ci-devant, afin de conforter le pouvoir de leurs maîtres.
Le problème est que la méthode ne fonctionne plus du tout . La preuve, Natacha Polony, qui n'a rien à perdre depuis qu'elle a annoncé son départ, cherche à exprimer publiquement son dépit devant la névrose de son collègue qu'elle devine extrêmement impopulaire . Il faut dire que la conduite de l'intéressé paraît délirante quand on l'analyse à froid sur internet. Il accuse tout le monde de travestir sa pensée, il répète qu'il n'est pas là pour s'amuser ( une réflexion classique chez les juges paranoïaques), et il applique le vieux truc des procureurs staliniens qui consiste à rappeler à l'invité, en chaussant ses lunettes, qu'il a fréquenté Untel et Untel en telle occasion.
En l'occurrence, la fréquentation «nauséabonde» dont il s'agissait, pour reprendre un terme très en vogue chez les esprits malades, était celle d' Ivan Rioufol qui avait préfacé le livre dont il était question.
Pour ma part quand je vois le regard sourcilleux, le brushing et la chemise ouverte de notre procureur aux dents blanches, je tremble que quelqu'un ne m'ait photographié en train de parler à Paul Marie-Coûteaux à la bibliothèque de Sciences-Po en 1975, ou à Florian Philippot, au bar du Lutétia, le matin où François Hollande, qui s'y trouvait aussi (cette fois c'est moi qui ai la photo), venait d'apprendre que Dominique Strauss-Kahn avait dormi en prison. Je redoute qu'on n'exhibe ces documents à la parution de mon prochain livre, c'est pourquoi je prends les devants.
C'est là, d'ailleurs, que se trouve la grande différence entre Natacha Polony et son Savonarole: on n'imagine pas qu'elle ait pu dresser un Mur des cons dans sa loge, alors qu'on en soupçonnerait volontiers son voisin.
Il ne serait pas surprenant non plus que, victime d'un accès de narcissisme irréfléchi, il n'y ait épinglé sa propre photo sans même s'en apercevoir.
Christian Combaz