Le destin brisé de Socayna tuée par un dealeur
La jeune femme de 24 ans, étudiante en droit, est la troisième victime d’une balle perdue à Marseille depuis le début de l’année.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Par Saïd Mahrane
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Étudiante sérieuse et douée, Socayna était absente des réseaux sociaux depuis près de dix ans.
Publié le 22/09/2023 à 08h30
Temps de lecture : 6 min
Elle s'appelait Socayna. Ou Sokayna avec un « k », l'orthographe qu'elle préférait. En arabe, ce prénom désigne une « personne déterminée ». C'était une jeune femme qui rêvait d'une vie meilleure, qui désirait devenir un jour juge pour enfants ou faire carrière dans le commerce. Au soir du 10 septembre, devant son ordinateur, elle travaillait ses cours avec sérieux avant qu'une balle de kalachnikov ne la tue. Le projectile a traversé le mur sous la fenêtre de sa chambre aux volets rouillés pour transpercer sa joue et se loger dans sa tête.
Le tireur, on ne connaît pas son nom. C'est un homme. Un voyou. Et désormais un assassin. A-t-il des rêves ? Oui, peut-être celui de contrôler un jour le trafic de drogue d'un quartier de Marseille ou, mieux encore, celui de la ville entière. Sur un scooter, au pied des immeubles de la cité Saint-Thys, il a tiré en rafale, 23 balles en tout, comme dans un film de Brian De Palma, parce qu'il voulait envoyer un message à la concurrence qui a coutume de dealer devant la pharmacie située au square Notre-Dame-d'Afrique, près de chez Socayna. Après son forfait, il a disparu, le canon fumant.
La seule chambre de l'appartement. Ce soir-là, Leïla, la mère de Socayna, était dans le salon. Elle a entendu ce qu'elle croyait d'abord être des pétards, des « ta ! ta ! ta ! ta ! ta ! ta ! » qui se rapprochaient, puis elle eut la certitude que, non, il s'agissait plutôt d'une arme à feu. Cette femme vit avec ses deux filles dans cette HLM décatie du 10 e arrondissement de Marseille, qui n'est pourtant pas connu pour être le coin le plus dangereux de la ville. Immigrés des Comores et du Maghreb cohabitent avec des Marseillais de toujours, tous conscients d'être dans la même galère. Les loyers y sont de 500 euros environ, « 300 euros si vous comptez les APL », indique Mahmoud, un ancien de la cité.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Selfie. Un autoportrait de son compte Facebook, qu’elle n’alimentait plus depuis 2014.
Socayna n'était plus une enfant. C'était une femme, une adulte, qui étudiait le droit, entourée de ses nombreux livres et manuels. Il était donc normal pour sa mère de lui laisser la seule chambre de l'appartement. Rien ne devait troubler le travail de son aînée. Avec sa plus jeune fille, Sabrina, Leïla dort dans le salon, qui donne sur une autre rue. Après la rafale de kalachnikov, le silence est revenu. C'est le moment où Sabrina a voulu emprunter le chargeur téléphonique de sa sœur. Elle a ouvert la porte de la chambre, puis a poussé un cri d'horreur. Leïla a suivi, affolée, et sa vie, à elle aussi, s'est arrêtée devant le corps de sa fille sans visage. « On a d'abord entendu des cris, très forts. Puis on a entendu une femme crier : “Ma fille ! Ma fille !” On a compris que les balles avaient touché quelqu'un », raconte une voisine de l'immeuble d'en face, qui semble encore entendre avec effroi les cris de Leïla.
« On a peur ». « La France est finie. Il n'y a plus de règles, il n'y a plus de lois en France. On a peur. Il n'y a plus de sécurité. Même la police ne peut rien faire », a pu dire cette mère devant une caméra de BFM TV, alors que personne ne pouvait mesurer à cet instant l'intensité de sa douleur. L'entretien a été vu des millions de fois. Pour pouvoir vivre leur deuil dans l'intimité, les membres de la famille ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient plus de journalistes, affichant des messages à ce propos au pied de l'immeuble, qui désormais attire les curieux.
Il y a dans cette tragédie quelque chose qui ajoute à la colère, parce qu'elle frappe une famille paisible qui aurait mérité, de tous, un plus fort soutien. Socayna avait repris des études de droit après l'obtention de son bac, un séjour à Lyon et quelques petits boulots, dont un dans la téléphonie mobile. Elle était en deuxième année à la faculté d'Aix-Marseille, située du côté de la Canebière, à quarante minutes de la maison. À la fin de son cursus, elle comptait retourner à Lyon. Ses camarades du bureau des étudiants (BDE), dont elle était membre, lui ont rendu hommage sur Instagram : « Nous regretterons son sourire, sa bonne humeur et sa vitalité. » Elle était comme ça, aussi bien avec ses camarades des beaux quartiers qu'avec les voisins de sa cité HLM. « Elle parlait à tout le monde, avec les “fils de” comme avec les “fils de rien”. Je garde d'elle le souvenir d'une excellente étudiante, très impliquée dans la vie du campus. C'était un soleil, toujours positive, même dans les moments de tension », se souvient Youssef Essadiki, président du BDE de la faculté de droit d'Aix-Marseille.
Dernière édition par cristaline le Ven 22 Sep 2023 - 17:35, édité 1 fois