L'espionne Amy Elizabeth Thorpe, connue aussi sous les noms de Betty Thorpe et Betty Pack (1910-1963). D.R.
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Cynthia, de Stéphanie des Horts: une héroïne de notre temps / Entretien avec la romancière Stéphanie des Horts
Jean-Paul Brighelli -20 avril 2023
C’est un fait, notre chroniqueur aime les femmes longilignes aux jambes fuselées et aux yeux verts. D’aimables potiches? Pas même: Amy Elisabeth Thorpe, dite Betty Pack, dite Cynthia (son nom de code au SOE, Special Operation Executive) est peut-être une gourgandine spectaculaire, mais c’est surtout une héroïne grâce à laquelle les Alliés ont remporté la guerre. Rien de moins.
Après Doris Delevingne, qui fut maîtresse de Churchill et dont j’ai relaté les exploits horizontaux, Stéphanie des Horts s’est intéressée à une femme qui fut la quintessence de l’espionnage avant et pendant la guerre, et grâce à laquelle les Alliés déchiffrèrent Enigma, le code ultra-secret allemand, permettant le lancement de l’opération Torch en 1942, en sus du code italien, ce qui conduisit à l’élimination de la flotte du Duce. Et comme James Bond — Betty Pack fut la collègue de Ian Fleming au sein du SOE —, elle met son physique de séductrice au service de Sa Majesté.
Plutôt que de vous raconter une biographie écrite avec vivacité et que vous lirez de même, chauds lapins que vous êtes, j’ai préféré interviewer la romancière sur la femme singulière que fut Betty (1910-1963, elle est morte avant d’être vieille), un modèle pour toutes celles qui se veulent libres et qui n’ont devant les yeux que les harpies débraillées des chiennes de garde…
Causeur. Tentons de définir le féminisme véritable à travers votre héroïne. Elle n’est pas inféodée aux hommes, pas plus à son mari — à une époque où le mariage était plus sacré qu’aujourd’hui — qu’à ses amants…
Stéphanie des Horts. Elle est libre et c’est ainsi que je conçois le féminisme. Elle n’est pas dans le rôle que l’époque, ou bien les hommes, auraient souhaité lui donner. Epouse, mère, infirmière, secrétaire ou je ne sais quoi … Betty a choisi le sien, son rôle, sa liberté. Et c’est faire ce qui lui plait, agir à sa convenance. Certes elle est bien obligée de se marier, elle est enceinte (c’est bien typiquement féminin cela) mais elle n’épouse pas l’homme que sa chère mère aurait choisi pour elle. Elle épouse celui qui va lui permettre de réaliser ses desseins, celui qui va la laisser libre.
Et c’est quoi la liberté selon Betty Pack ? C’est vivre à cent à l’heure, toucher du doigt le danger, aimer passionnément les hommes, se laisser aimer car la féminité lui sied si bien. La liberté selon Betty Pack, c’est balancer les conventions mais en user quand bon lui semble. La liberté selon Betty Pack c’est faire grandir les hommes de sa vie, les pousser à se dépasser, les transformer en héros malgré eux. Regardez-les tous autant qu’ils sont, Carlos Sartorius, John Leche, Michel Lubienski, Charles Brousse… Sans Betty seraient-ils sortis aussi grandis de la guerre ? Certainement pas.
Féministe Betty ? Plutôt féminine, ce n’est pas l’égalité entre les sexes qu’elle recherche, ce sont les différences pour en abuser à loisir. Et c’est bien ce que je souhaite à toutes les femmes d’aujourd’hui, cette triste époque terne et sale où l’on est tout gris à force de vouloir tous se ressembler.
Elle n’est pas une mère très attentionnée, c’est le moins que l’on puisse dire…
On ne peut pas tout faire. L’instinct maternel porte bien son nom. C’est un instinct. Elle ne l’a pas. Point barre. L’enfant à venir est une difficulté à gérer. L’enfant bien arrivé est un autre genre de difficulté, mais toujours une difficulté. Et Betty n’a pas le temps pour cela. Les difficultés, elle les aplanit. Et donc les enfants aussi. Et puis, elle fait partie de ce genre de femmes qui aime trop les hommes pour les partager avec une ribambelle de gamins.
Betty est une séductrice, pas une mère. Betty est piquante, elle ne s’attendrit guère. Elle éprouve d’ailleurs beaucoup de mépris pour tout ce qui touche à l’attendrissement. Elle doit tenir cela de son père. Betty est dure, Betty est dans l’instant partagé avec un homme.
Que vouliez-vous donc qu’elle fasse d’un enfant ? Après tout l’époque aussi voulait cela. Les enfants étaient confiés aux gouvernantes, leur éducation à leurs professeurs, les enfants ne servaient qu’à assurer la descendance. Ceux des milieux modestes se mettaient au travail pour aider leurs parents. Betty se fiche bien de la descendance. Tout ce qu’elle veut, c’est vivre sa vie auprès de l’homme aimé, dans le danger si possible et pour une bonne cause, la victoire contre l’Axe.
Elle aime les falbalas de qualité, elle néglige de s’habiller en souillon garagiste…
C’est certain. Le côté souillon garagiste (va-t-on se faire trucider si l’on emploie ce mot, doit-on se méfier du syndicat CGT des garagistes ?), le côté souillon, mocheté (comme on voit dans le cinéma français actuel — ai-je le droit de dire cela encore ?) donc ce côté-là, non merci. Betty déteste et moi aussi. Et comme je deviens toutes mes héroïnes, en fait je vis leur vie pendant six mois, je les choisis en fonction de leur féminité.
J’aime mettre en valeur la beauté, l’esthétisme, le chic avant tout, l’élégance. Je suis passionnée par l’élégance. Et sa perte. Je regarde les films du début du siècle, ou bien des vidéos qui montrent comment les gens vivaient, amusez-vous à les regarder, l’élégance était partout en 1920, 1930, 1950, chez les bourgeoises comme chez leurs soubrettes. Il y avait de la tenue. Les soubrettes voulaient ressembler à leur patronne. Il existait alors une pyramide sociale qui tirait les gens vers le haut. Aujourd’hui les filles choisissent leurs modèles chez les rappeurs des banlieues. La recherche égalitaire a aplani la pyramide sociale. Evidemment Betty n’est pas de cette engeance.
En même temps, elle a des convictions patriotiques. Agent anglais, elle est en butte aux tracasseries de J. Edgar Hoover, qui manque de peu de l’arrêter. Et elle prend des risques insensés…
Bien sûr qu’elle a des convictions patriotiques ! Qui n’en aurait pas dans cette guerre ? Hitler, Mussolini ne laissaient personne indifférent. Ah si, les Américains, au début. Betty a des convictions et surtout Betty aime le danger. Cela la fait vibrer, elle adore cela.
Elle vit une passion à chaque fois en recherchant des renseignements pour les alliés. Elle vit son amour dans le danger. L’adrénaline la transporte. Chaque mission est liée à une liaison et se termine en un orgasme. La passion s’éteint quand la mission est terminée. Elle ne peut se satisfaire d’une vie simple. Et c’est pourtant ce qui lui arrive à la fin. Alors, elle quitte l’homme de sa vie pour une nouvelle aventure en sachant pertinemment qu’elle se trompe. Sans adrénaline, sans danger, Betty sommeille et cela ne lui ressemble pas. C’est là où je la définis féministe, Betty est celle qui combat toujours, tout le temps, pour des bonnes raisons.
Elle reste, après-guerre, d’une discrétion exemplaire, dans son château de Castelnou, dans les Pyrénées-Orientales. Elle n’est pas du genre à hanter les gazettes pour s’y faire mousser…
Non, ce n’est pas son genre les gazettes, c’est plutôt celui de sa mère et Betty ne ressemble pas à sa mère qu’elle méprise profondément. Betty s’ennuie à Castelnou, elle s’ennuie terriblement. Je pense que si elle avait vécu, Betty aurait rempilé et aurait été parfaite en pleine guerre froide. C’est peut-être la retraite forcée qui l’a tuée, je ne sais pas. Ce dont je suis certaine c’est qu’elle aurait continué à espionner pour le MI6 en pleine guerre froide. Alors, elle serait tombée amoureuse de Philby et elle aurait mis à jour le réseau des Cinq de Cambridge ! D’ailleurs, ceux-là, j’ai une vraie fascination pour eux. J’ai failli traiter de la femme de Philby, mais enfin, c’est une acharnée du communisme, je n’ai pas pu. Et puis, très mal habillée !
Elle nous montre ce qu’est une vraie héroïne : pas une Pucelle de Domrémy, ni une pétroleuse. Ni Sand, ni Simone de Beauvoir. Ne serait-elle pas un archétype elle-même ? Au fond, un exemple ?
C’est la littérature qui définit les archétypes. Bon la pucelle, impossible. Sand, pas assez féminine, même si c’est une grande amoureuse, Beauvoir trop fausse, une pétroleuse, non, pas assez sérieuse. Betty est en fait toutes les femmes, elle est d’abord une femme amoureuse. En cela elle traverse toutes les époques. Betty est vraie avec elle-même, elle ne se ment jamais, elle définit sa propre vérité qui passe par les hommes. Elle se donne, aux hommes, aux Anglais, à l’Amérique, à l’Espagne. Elle se donne et ça la fait vivre. Non elle n’est pas un archétype. Elle est la femme dans toute sa splendeur, celle qui est prête à aller au bout pour un homme. Betty est Eve et puis Phèdre, Betty est Bardot, Betty est Pamela Harriman, Betty est une séductrice avec des convictions, cela existe encore aujourd’hui ?
Au moment où Betty Pack subtilise les codes qui permettront l’Opération TORCH (entre autres), Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, bien à l’abri de tout projet de résistance, définissent l’être comme la somme de ses actes. Betty n’est-elle pas, de ce point de vue, bien plus réelle que Simone ? Et à ce titre, n’est-elle pas pleinement « devenue femme » ?
Non, pas du tout, Betty est née femme. Elle est à l’opposé de Beauvoir, ce couple m’a toujours profondément ennuyée. Betty a la séduction dans le sang. Toute petite déjà et ce n’est pas une invention de ma part ! Betty petite fille tente de séduire son père qui ne la regarde pas. Alors elle écrit un livre pour lui. Et c’est un amiral italien qui tombe fou d’elle, puis un joueur de tennis espagnol. C’est une petite fille, non c’est déjà une femme et elle n’a que dix ans. Elle a la séduction dans le sang et c’est cela le féminisme tel que je l’entends. La différence et pour tout dire, la supériorité. La femme est supérieure à l’homme dans bien des domaines, ne me parlez surtout pas d’égalité.
PS. Stéphanie des Horts est membre du jury du prix des Hussards, fondé par Christian Millau, avec Jérôme Leroy, estimé chroniqueur de Causeur, Eric Naulleau, Jean Tulard et Philibert Humm. Ils remettront le prochain prix ce soir. Je n’en dirai pas plus — mais je sais qu’ils donneront le « coup du shako » à Nicolas d’Estienne d’Orves pour son Dictionnaire amoureux du mauvais goût, célébré ici-même.