HERVE SEITZ, LA BIOLOGIE SANS BORNES, LA COURSE CENT BORNES
Le samedi 25 septembre 2021, Hervé Seitz se serait présenté au départ des 100 km de Millau pour la 12ème fois auréolé d’un palmarès exceptionnel avec 2 secondes places et 4 victoires. Ce biologiste de renom, chef de laboratoire au CNRS à Montpellier, s’est distingué l’an passé en pleine crise Covid, en dénonçant dès le 26 mars les fraudes statistiques constatées dans les études menées par le professeur Raoult. Dans cet entretien, ce chercheur émérite s’explique sur cette démarche de vérité et sur son amour pour les 100 km de Millau.
...Un petit vent frissonnant s’invitait dans notre conversation. Je souhaitais revenir à ce 26 mars 2020, lorsque Hervé Seitz sortait de sa coquille, tel le bernard-l’hermite, pour croquer à vif le professeur Raoult. L’entretien pouvait débuter.
. G.B. : En mars 2020, en pleine crise Covid, le biologiste que tu es, se fait connaître en rentrant dans le débat public en intervenant sur la plate-forme Youtube pour dénoncer ce que tu estimais être une fraude commise dans une étude menée par le professeur Raoult. Etait-ce un besoin de rétablir la vérité ?. H.S. : Là, la course à pied a joué un rôle très actif dans ce processus. Car mes collègues coureurs non seulement m’ont posé des questions mais surtout, ils n’ont pas voulu entendre les réponses. Nous sommes au début du premier confinement, dans un état de sidération et arrive un héros qui annonce « cette maladie respiratoire, c’est la plus facile du monde à soigner ». Ce héros, c’est le docteur Raoult, le professeur Raoult qui acquière très rapidement le titre de héros national et mondial en disant « on va vous soigner, on va vous sauver ».
Il se trouve que je suis toujours en contact avec des copains de Normale Sup. Un jour, nous discutions de l’actualité et on en vient à parler de cela et un de mes copains, chimiste, me dit « moi, mon petit frère qui est biologiste a fait son stage dans ce labo-là. Ce gars-là, c’est un tyran qui a son idée arrêtée sur ce que doit être le résultat. Et pour être étudiant dans son labo, tu as intérêt à avoir le résultat que le chef attend ». Et ça, c’est la porte ouverte à toutes les fraudes. C’est souvent comme cela que se passent les fraudes scientifiques et c’est plus fréquent que ce que le grand public peut penser. Et là où c’est très insidieux, c’est quand le chef a son idée de ce que doit être le résultat alors que c’est l’étudiant qui fait l’expérience. Et si la fraude est découverte, qui est coupable ? C’est l’étudiant qui prend les coups et qui est vite dégagé avec pertes et fracas, sa carrière scientifique terminée et le chef qui dit « j’ai été abusé par cet étudiant ». C’est un comportement très dangereux.
G.B. : On sent que la curiosité du scientifique est piquée à vif. Ce qui explique sans doute ce désir d’en savoir plus sur les études réalisées dans le laboratoire du professeur Raoult ?. H. S. : J’ai donc lu l’article en utilisant mon expertise en biologie. C’était de la médecine et des données statistiques, du jargon que je comprenais. Et là, je m’aperçois, mais je n’étais pas le premier à le signaler qu’il y avait une fraude statistique. Ils avaient exclu de leurs statistiques les patients traités à l’hydroxychloroquine pour qui cela c’était mal terminé. Alors évidemment, si tu élimines les décès de la cohorte et que tu gardes uniquement ceux pour qui cela se passe bien et qu’ensuite tu fais tes statistiques en concluant « regardez, ça s’est bien passé », mais c’est malhonnête. Et cela se voit dans l’article. Mais au moins il faut leur reconnaître qu’ils ont eu dans leur malhonnêteté, l’honnêteté de mettre les vraies données mais si tu sais lire la science, les données, tu te rends compte qu’ils avaient menti dans leurs analyses statistiques et dans leurs conclusions.
. G.B. : Comment naît alors le besoin de communiquer pour dénoncer ce que tu estimes être une fraude ?. H.S. : Mon seul accès au grand public était Facebook. Je poste donc un message pour expliquer que le traitement du Professeur Raoult ne marche pas et qu’il ne va pas vous sauver. De plus, c’est un traitement qui n’est pas anodin donc prudence. Sur ma page, j’ai des amis scientifiques et des amis coureurs pour mon environnement loisir. Les scientifiques ont tous été plus ou moins d’accord avec moi, il n’y a pas eu trop de discussions. Mais chez les coureurs à pied, c’est l’autre moitié de ma vie, j’entendais « tu as tort de dire cela. Oui, ils n’ont pas fait cela dans les règles de l’art mais ils n’ont pas eu le temps. Ils n’ont pas fait comme vous les scientifiques vous l’entendez mais là c’est la médecine de guerre, c’est l’urgence et ils sauvent des vies, donc fermez votre gueule ». C’était l’état d’esprit de l’époque
. G.B. : Comment as-tu répondu pour tenter de convaincre ? . H.S. : Je me souviens avoir engagé une discussion avec un bon copain qui est Ludovic Dilmi. Il a eu un rôle moteur dans cette histoire. Il m’a battu aux 100 km de Millau en 2013 et je l’ai battu à mon tour aux 100 km de Belvès en 2016. Le mercredi 25 mars, je me couche en me disant, ça m’embête, Ludo c’est un copain, je lui explique mais en retour, il me poste une énième vidéo racontant des choses que je venais de démentir par écrit. Des vidéos réalisées par un youtuber, Idriss Aberkane, connu dans le milieu de la fake science. Il en a fait son métier, il raconte beaucoup de bêtises mais ça sonne bien aux oreilles du grand public. Et le 26 mars, lorsque je me réveille, je dis à ma femme « je vais faire une vidéo car tout ce que je dis est juste inaudible car c’est écrit ».
. G.B. : Cette date du 26 mars marque le début d’une série de 9 vidéos. Comment doit-on se positionner pour tenter de convaincre ? . H.S. : Le 26 mars, je fais donc cette vidéo sur Youtube. Il se trouve que dans le contexte de l’époque alors que Raoult était considéré comme un héros mondial, le monde politique se pressant pour le soutenir, il n’y avait pas de voix discordante pour le contredire. Déjà le monde politique n’avait pas les compétences pour comprendre qu’il s’agissait d’une fraude et nous scientifiques, nous n’avons pas cette culture d’aller dans cette espèce d’arène pour dire « vous êtes un menteur ». Il y avait bien des PDF qui circulaient pour dire dans un langage scientifique très soft « nous pensons que cette étude n’a pas été faite dans les règles de l’art » mais en réalité cela voulait dire « ça été mal fait, c’est un mensonge ». J’ai donc utilisé un langage clair « c’est un mensonge, c’est une fraude » et là pour le coup, j’ai été le premier à utiliser ce langage pour appeler un chat un chat. Et cette vidéo est devenue un peu virale car ensuite je suis intervenu plusieurs fois sur des chaînes comme LCI pour alimenter le débat, la controverse. Ils n’avaient personne à opposer à Raoult qui, lui-même, était une grande gueule.
. G.B. : As-tu le sentiment d’avoir rempli ton rôle ? . H.S. : Ici dans mon bâtiment mais d’une manière générale, j’ai reçu beaucoup de messages de félicitations et de remerciements de collègues qui ont dit « c’est génial ce que tu as fait, il fallait vraiment le faire ». Mais la question c’est « mais pourquoi eux ne l’ont-ils pas fait ? ». Même un an et demi après, des scientifiques qui ont pris la parole ouvertement contre Raoult, ils sont rares. L’Académie des Sciences a publié un petit communiqué mais dans le langage de l’Académie des Sciences qui n’a circulé qu’entre chercheurs, en vase clos, en atteignant que des gens déjà convaincus. J’ai également reçu beaucoup d’insultes des fanatiques de Raoult. Ce fut un peu pénible car moi, j’ai vraiment cet idéal un peu pédagogique pour répondre à chacun « alors que contestez-vous ? ».
. G.B. : Finalement, as-tu réussi à convaincre ton cercle d’amis coureurs ? . H.S. : Dès le départ, sur cette question scientifique ou médicale, se sont greffées des considérations politiques. Aujourd’hui, des gens attribuent toute la politique sanitaire, les masques, les vaccins, à la personnalité de Macron. C’est pour cela que j’ai fait cette dernière vidéo pour dire « séparez la politique du scientifique, du médical. Si vous êtes un opposant à Macron faites-vous vacciner pour être certain de pouvoir voter contre Macron en 2022 ». Aujourd’hui, les gens que je croise comme à Grabels où j’habite m’interpellent « Hervé, toi qui es scientifique, tu ne trouves pas que ce vaccin est dangereux ? ». Donc on parle mais systématiquement, la discussion retombe sur «oui, mais Macron nous a mentis sur les masques au départ ». Ca, c’est le péché originel. Donc quand les gens te ramènent «le vaccin ne marche pas car je n’aime pas Macron « tu réponds « mais c’est juste pas la même question ». Maintenant la question est tellement polarisée, tu peux donner les arguments les plus intelligents, il reste une frange impossible à convaincre.
. G.B. : Par ces vidéos, as-tu le sentiment d’avoir affirmé d’une certaine façon tes convictions ? . H.S. : Je ne me suis jamais engagé dans le débat politique. Je n’ai participé qu’à une seule manifestation dans ma vie, c’était en 2003 contre la guerre en Irak mais je ne m’étais pas senti à ma place. Moi, je n’aime pas le consensus, je n’aime pas l’unisson. C’est peut-être pour cela que j’ai pris position contre Raoult. Je me rends compte que quand quelqu’un devient vénéré, une espèce de maître à penser, moi systématiquement, dans mon fonctionnement inconscient, j’ai un mouvement épidermique de recul. J’ai été beaucoup froissé par cette ambiance que l’on vit depuis un an et demi avec ces gens qui sont de véritables héros de l’autoritarisme, de la malhonnête et qui ont réussi, c’est leur grand tour de passe-passe, à se faire passer pour des héros de la liberté, de l’intelligence et de l’honnêteté intellectuelle alors qu’ils sont l’exact opposé. Je ne m’estime pas libertaire mais attaché aux valeurs de la liberté.
Avec mes vidéos, j’estime que j’ai apporté ma petite contribution à l’édifice. On a une responsabilité en tant que chercheur public car nous sommes des agents du service public. On a des comptes à rendre devant le public.
. G.B. : D’où ce besoin de vouloir expliquer, vulgariser…. H.S. : Oui je suis issu d’une famille d’enseignants. J’ai toujours eu ce grand attrait pour ces démarches intellectuelles, pour apprendre, dans les deux sens, moi apprendre en tant qu’élève mais également apprendre aux autres. J’aime beaucoup la vulgarisation scientifique en termes simples pour le grand public, les associations, les clubs de retraités, des collèges, des lycées. A Grabels, là où j’habite, il y a une association Rando Loisirs Culture pour laquelle j’ai donné un séminaire sur le thème de la génétique et je garde le souvenir d’une dame, une ancienne institutrice, une petite dame toute riquiqui qui s’appuyait sur sa canne et qui regardait avec des yeux pétillants au premier rang et à la fin je demandais « vous avez des questions ? » et elle levait toujours le doigt comme une élève. Tu vois, on a toujours besoin de connaissance et c’est cette philosophie qui m’a toujours guidé. Il y a peut-être aussi l’aspect course à pied où tu es habitué à souffrir, on sent une proximité avec le coureur à côté de toi, tu te sens égal et identique à l’autre. Moi mon souvenir de course à pied le plus intense, c’est mon arrivée aux 100 km de Millau en 2014 à la lutte avec Mickael Janne. Je fais second, il me bat, ce fut une défaite mais en termes de force de souvenirs, on courait comme des morts de faim, nous étions au bout de la souffrance, je perdais la lucidité, ma cervelle ne réfléchissait même plus. Je pense que si un jour, je suis sur mon lit de mort, dans les vapes, c’est l’image qui me restera car on a vécu ensemble un tel moment de proximité.
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