Un livre commenté par Manfred Gerstenfeld
Le livre le plus récent de Wistrich, From Ambivalence to Betrayal : The Left, the Jews, and Israel [De l’Ambivalence à la Trahison : La Gauche, les Juifs et Israël], est un nouveau tour de force, en matière d’érudition. Le livre apporte une analyse fascinante de l’évolution des perceptions de l’extrême-gauche et des sociaux-démocrates sur ce qu’on a coutume d’appeler « la Question Juive ».
Commençant son investigation au dix-neuvième siècle, Wistrich étudie une longue période. Ce panorama étendu permet au lecteur de parcourir les stéréotypes antisémites de l’extrême-gauche, qui ont resurgi , au cours des dernières décennies, sous diverses métamorphoses. Par exemple, approximativement cent ans avant que les Nations-Unies n’adoptent leur résolution infâmante « Sionisme = racisme », en 1975, Karl Kautsky, le théoricien dominant parmi les sociaux-démocrates allemands, avait, déjà, taxé le Sionisme comme une expression du racisme (308).
Kreisky, un Archetype juif de la Haine de Soi
Le dernier quart du livre, sur lequel nous allons nous concentrer, traite des problèmes relatifs à la période de l’après-Seconde Guerre Mondiale. Le Chancelier autrichien Bruno Kreisky, sur qui Wistrich a déjà publié une étude précédente, est décrit comme le Juif d’extrême gauche typique de la haine de soi. De façon intéressante, Kreisky affirme qu’il n’a pas souffert d’antisémitisme dans sa jeunesse, une prétention qui semble hautement improbable, si on prend en compte les événements qui se sont déroulés en Autriche, dans la période de la Seconde Guerre Mondiale. Wistrich écrit que Kreisky était “Ce genre de Juif qui décerne aux Autrichiens non-Juifs une totale disculpation de tout sentiment latent de culpabilité pour leur rôle prédominant dans la Shoah ». Kreisky l’a fait de multiples façons. Il s’en est pris impitoyablement à Simon Wiesthental , qu’il a brocardé comme un « dangereux réactionnaire ». Il a aussi déclaré : « Si les Juifs forment un peuple, alors c’est un peuple affreux » (496). Kreisky s’est avéré être un pionnier du dénigrement d’Israël comme « semi-fasciste » et Etat « d’Apartheid ». Dans sa vision, Israël était « non-démocratique », « clérical » et « militariste » (480).
Les antisémites contemporains trouvent qu’un Juif du genre de Kreisky est particulièrement utile à les absoudre de toute critique, puisqu’ils ont la ressource de citer des Juifs qui partagent leurs opinions. Elhanan Yakira, dans son livre Post-Zionism, Post-Holocaust : Three Essays on Denial, Forgetting, and the Delegitimation of Israel [Post-Sionisme, Après-Shoah : Trois essais sur le Négationnisme, l’Oubli et la Légitimation d’Israël], y traite d’un problème très voisin. Les Juifs post-sionistes – en fait, les Juifs antisionistes – diabolisent Israël. De cette façon, ils deviennent membres à part entière d’une « communauté intellectuelle de dissimulateurs partageant le même esprit ». Yakira ajoute que, « Le meilleur moyen de progresser dans les cercles universitaires internationaux est de faire partie du système. On est alors, fréquemment, invité à l’étranger et publié, même si son travail n’a guère de contenu significatif ».
L’approche du style de celle de Kreisky ne marche pas à tous les coups, même si l’on est un antisioniste extrémiste. C’est le cas, notamment, dans le contexte des dictatures. Rudolf Slansky, ancien dirigeant communiste tchèque et personnage central du Procès de Prague , montés de toute pièce, en 1952, y a été accusé de « Sionisme ». Wistrich fait remarquer que c’était un « ennemi juré d’Israël et de l’entreprise sioniste toute entière, qui avait posé son veto contre la vente d’armes lourdes à l’Etat Juif, après 1948 ». Il y avait bien d’autres extrémistes antisionistes, parmi les Juifs constituant la majorité des accusés, durant le Procès. Ils étaient obligés d’avouer sous la contrainte, dans le style tout-à-fait classique du Communisme, qu’ils n’étaient que « bourgeois nationalistes juifs » [i.e : « Sionistes »] (450).
L’Antisémitisme ancré dans la Culture Britannique
L’auteur, qui a été élevé en Angleterre et qui a traité, ailleurs, du problème de l’antisémitisme anglais , titre l’un de ses chapitres : « Grande-Bretagne : un cas qui se prête au traitement de choc ? ». Wistrich considère l’antisémitisme comme profondément ancré dans la culture britannique, remontant à plus d’un millénaire. Il rappelle, également, à quel point les Juifs ont été « associés autant au Communisme qu’au Capitalisme, au début du 20ème siècle », par les antisémites (539). Après la Seconde Guerre Mondiale, Ernst Bevin, le Secrétaire aux affaires étrangères du Parti travailliste, était perçu par beaucoup, dans la Palestine d’avant l’avènement d’Israël, comme le pire antisémite de Grande-Bretagne.
Wistrich cite de nombreuses sources contemporaines d’incitation à la haine anti-israélienne, provenant de la Gauche britannique. Parmi les journaux, le Guardian , de gauche libérale, détient un rôle prédominant. Wistrich rappelle qu’il a comparé la campagne militaire d’Israël à Jénine, après l’attentat-suicide massif, au Park Hotel de Netanya, en Israël, au 11 septembre. Le Guardian écrit que l’action israélienne « a été, en tout point, aussi repoussante dans sa précision, et non moins douloureuse et en tout point, de la même façon, préparée par l’homme ». Le journal a ajouté que la campagne de Jénine « détient déjà cette aura d’infamie qui est liée à un crime de notoriété publique » (544).
La BBC, appartenant à l’Etat, détient une place toute particulière, dans la propagation de la haine anti-israélienne. Elle est dominée par des employés de tendance libérale de gauche (543). L’avocat des litiges, Trevor Asserson a entrepris un grand nombre d’études très bien documentées, où il énumère les distorsions systématiques de la BBC, à l’encontre d’Israël. Il a découvert que « les actualités, dans les reportages de la BBC, au sujet d’Israël sont déformées par omission, par inclusion, en donnant uniquement des faits partiels, par la sélection des personnes interviewées et par l’information fournie sur le contexte de l’évènement ou l’absence de tout contexte ».
Les sources de gauche abondent, en Grande-Bretagne, s’agissant de haine d’Israël. On peut les trouver à travers toute l’extrême-gauche, les syndicats, les partis travailliste et libéral, le théâtre et ailleurs. On doit espérer que Wistrich analysera un jour, en détail, les réactions plutôt mielleuses, provenant de beaucoup de dirigeants de la Communauté juive, face à la diffamation d’Israël qui se propage continuellement (et qui ne se limite, évidemment, pas à la gauche).
L’Alliance islamiste-marxiste
A la lumière des réalités d’aujourd’hui, le chapitre de Wistrich sur l’alliance marxiste-islamiste revêt une grande importance. En 1954, Bernard Lewis a rédigé un article séminal sur : « quelles propriétés, quelles tendances existent en Islam, dans la civilisation et la société islamique, qui puissent, soit faciliter soit entraver la progression du communisme ? ». Il semble, aujourd’hui, amusant de constater qu’à l’époque, Lewis sentait le besoin d’explique pourquoi il avait les qualifications pour traiter le sujet, malgré qu’il n’était pas ancien communiste, une qualité sur laquelle il écrivait : « qui, de nos jours, est généralement acceptée comme « conférant autant l’autorité que la respectabilité ».
Lewis remarquait que la propagande communiste contre l’Occident pouvait toujours compter sur une réponse positive du monde musulman, lorsqu’elle s’en prenait à l’impérialisme. Là, le communisme rencontrait aussi une vague de sympathie, du fait de l’extrême juxtaposition des masses paupérisées et du nombre très rare de gens très opulents dans les pays musulmans. Lewis mentionnait que la doctrine communiste de l’Etat contrôlant la vie économique n’était pas aussi étrangère au monde de l’Islam. Il déclarait aussi que les tentatives de présenter l’Islam et la démocratie comme identiques étaient fondées sur « une incompréhension soit de l’Islam, soit de la démocratie, soit des deux à la fois ».
Wistrich met à jour près de 60 ans d’évolution du problème des liens entre le communisme et le monde de l’Islam. A cela, il ajoute la collaboration plus récente entre l’extrême-gauche et les Islamistes radicaux. Il cite le dirigeant terroriste marxiste arabo-palestinien George Habash, qui déclarait que cette branche de l’OLP tirait ses sources d’inspiration, à parité de l’Union Soviétique et du fondamentalisme iranien. « Au-delà de l’idéologie, nous avons en commun les mêmes fondamentaux sur l’anti-impérialisme, l’antisionisme et de l’anti-israélisme ». (564).
Wistrich écrit que de nombreux Chi’ites partagent, également, le principe léniniste selon lequel : “ tout ce qui propage la révolution est bon en soi et tout ce qui s’y oppose est mauvais » (565). Le Guide Suprême de la Révolution Islamique iranienne, l’Ayatollah Khomeiny était, en partie, influencé par l’Islamo-marxiste Al-Shariati, un théoricien du « Chi’isme Rouge ». Comme les Nazis, les Communistes voient les Musulmans comme des alliés potentiels (66). Le Baathisme irakien, selon Wistrich, combine « un mélange éclectique de nationalisme arabe, de thèmes socialsites, nazis et staliniens », qui a trouvé sa pleine expression sous Saddam Hussein (570).
Parmi les promoteurs de l’alliance entre la gauche radicale et l’Islamisme, on trouve divers personnages comme le Président vénézuélien Hugo Chavez, le dirigeant britannique du Parti du Respect, George Galloway et le terroriste Carlos. De l’autre côté, le philosophe musulman Tarik Ramadan maintient des contacts avec la gauche anti- globalisation, à travers la même hostilité à l’économie néo-libérale. Il est soutenu par des néo-communistes, des Troskystes et des cercles tiers-mondistes en France (579).
Mais encore, des Sociaux-Démocrates collaborent également avec les Jihadistes. Autant Kreisky que Willy Brandt ont reçu Arafat avec tous les honneurs, lorsqu’ils étaient à la tête de l’Internationale Socialiste. Wistrich écrit : « C’était la première fois que des dirigeants socialistes légitimaient publiquement le Jihad palestinien comme s’il était réellement laïc, une véritable entreprise démocratique » (571). Le Premier Ministre socialiste espagnol José Luis Rodrigues Zapatero a insisté sur sa solidarité avec les radicaux palestiniens, en portant ostensiblement le Keffieh (581). Wistrich fournit beaucoup d’exemples de ce type de collaboration.
Conclusion
La gauche contemporaine antisémite est un grave problème qui mérite la plus grande attention. Le traitement de l’incitation à la haine anti-israélienne dans les syndicats de pays tels que la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Belgique, la Norvège et le Danemark, d’une part, l’anti-israélisme et l’antisémitisme au sein de la gauche nordique vient immédiatement à l’esprit. Le deux-poids-deux-mesures des partis socialistes européens envers Israël, réclame aussi une investigation attentive.
Ce livre magistral de Wistrich apporte une contribution majeure à notre compréhension de l’antisémitisme de gauche . Il représente un apport supplémentaire à ses travaux séminaux sur l’histoire de cette haine éternelle, ses incarnations contemporaines et sa nouvelle transmutation : l’anti-israélisme. Au même moment, beaucoup reste à écrire sur l’antisémitisme et l’anti-israélisme de gauche, tous deux étant en état d’évolution permanente.
Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.
Cette note de lecture de livre a été publiée, à l’origine dans la Jewish Political Studies Review [Revue Juive d’Etudes Politiques].
Adaptation : Marc Brzustowski.